Installé au Brésil pendant plus de dix ans, Ludovic Carème a pris à rebours le trajet de ceux qu’il a photographiés. Il a en effet commencé à dresser le portrait de la petite favela d’Agua Branca, en plein cœur de Sao Paulo, pour finir son périple en Amazonie, là d’où sont partis ceux qui rêvaient de trouver le bonheur dans la mégapole et ont dû déchanter dans d’autres favelas. De fin 2008 à début 2011 il est allé régulièrement à Agua Branca, accompagné et introduit par le merveilleux guide qu’a été Brito dans ces baraques en planches, construites au-dessus des égouts, il a photographié, de près, en noir et blanc vibrant et en format carré, ceux qui acceptaient sa présence et lui faisaient don de leur visage. C’est là aussi qu’il a photographié, en pied, les travailleurs – la très grande majorité des habitants –allant à l’aube vers l’arrêt de bus qui va les amener vers leur emploi. Là, également, qu’il a vu les services sociaux de la ville accompagnés de la police détruisant les maisons sous mille prétextes, dont les trafics – réels mais marginaux – dont certains policiers sont complices.
En 2012 il a cadré les grands immeubles du centre, ruines modernes et dérisoires, révoltantes dans une ville où des milliers de sans-abris – qu’il a photographiés durant deux ans, de 2013 à 2015 – rendent encore plus intolérables ces habitations vides transformées en œuvres d’art urbain par d’audacieux « Pixadores ».
En abandonnant la ville pour le plus profond de l’Amazonie de fin 2015 jusqu’à fin 2017, en poursuivant son travail de portraitiste et en le complétant de vues, souvent sensuelles, de la forêt mais aussi de constats nets de la déforestation ou de petites natures mortes trouvées dans les intérieurs, il poursuit le développement sensible d’une photographie documentaire aux solides bases classiques.
Des portraits dignes et un peu tristes, une forêt luxuriante et en butte aux agressions de l’homme, des maisons détruites, le double mouvement qui mène, partout dans le monde, les pauvres vers les villes et leur interdit les centres, tout est là, avec retenue, avec une forme de poésie aussi. Et cette évidence, n’en déplaise au chanteur, que la misère n’est pas « plus douce au soleil ». Encore moins dans le Brésil d’aujourd’hui, de plus en plus violent pour ceux qu’il marginalise.