La Galerie Le Château d’Eau présente Àpeiron (du grec ancien à, absence, et peras, limite – considéré comme le principe, infini et éternel), un corpus d’oeuvres de Dimitra Dede, artiste visuelle grecque considérée aujoud’hui comme une figure importante de la photographie contemporaine.
Cette exposition, construite à partir d’images de sa première monographie et d’oeuvres inédites, révèle un univers sombre, douloureux et poétique à la fois où la fusion entre la nature et le corps interrogent le lien entre l’espace et le temps, la mémoire et le déplacement, la perte et la vulnérabilité humaine, la vie et l’absurde.
On a longtemps cru, ou voulu laisser croire que l’on croyait, que les photographes étaient d’abord là pour reproduire le monde, pour témoigner de ses soubresauts, de sa beauté, de son évolution. Les producteurs d’images ont d’ailleurs, pour la plupart, été complices du développement de cette crédulité collective, parfaitement irrationnelle, et qui relève davantage d’une croyance révérant les icônes que d’une appréciation objective des faits. C’est précisément au nom d’une objectivité – jamais démontrée, et pour cause – qui aurait fondé une « vérité » photographique que la presse, entre autres, a répandu une vision de l’image fixe aujourd’hui battue en brèche par mille faits dont la multiplication exponentielle des producteurs de visuels armés de téléphones portables n’est pas le moindre.
Plus raisonnablement et grâce à l’affirmation – courageuse il y a encore un quart de siècle – que la pratique photographique produisait du point de vue, était absolument subjective et combinait une perception singulière du monde à une mise en forme des émotions afin de les partager, que la photographie posait davantage de questions qu’elle n’offrait de réponses, les temps ont réellement changé. Et des auteurs, des artistes ont affirmé leur vision sans plus chercher d’excuse.
Dimitra Dede fait à l’évidence partie de ces photographes qui tirent partie du monde dont ils expérimentent la matérialité pour produire des images qui traduisent, par nécessité, des formes véhiculant leurs sentiments. Dans son cas, il s’agit d’un univers sombre que la lumière sculpte jusque dans le moindre détail et dans le noir, accrochant les grains d’argent, faisant vibrer des gris profonds, caressant avec douceur courbes et lignes. Dans cette photographie, une main, un corps, un glacier, un sexe féminin, des nuages, un visage, un arbre, un corps ou un rocher sont équivalents. Prétextes à faire image, à la provoquer, la générer. Pour cela Dimitra Dede les considère comme une matière première qu’elle travaille, griffe, transforme, fait muer et muter afin d’aboutir à un monde qui n’existe qu’en image, un monde flottant mais qui s’ancre dans un réel disparu. Le temps s’est arrêté, ou éternisé, on ne sait, tant il est strictement photographique et n’a plus rien à voir avec celui de nos horloges.
Les glaciers sont devenus des organisations de plis, entre tissus et chair, les regards, lorsqu’il y en a, surgissent d’une nébuleuse, entre le corps et les rochers l’osmose est proche.
Il y a là une autre définition de la photographie. Celle d’artistes qui recherchent dans le monde des correspondances à leur monde intérieur, à leurs émotions, douleurs ou bonheurs d’un instant. Sans plus jamais se dissimuler derrière les faux-semblants d’une illusoire « objectivité ». Une belle façon, même si elle peut être parfois inconfortable, de dire « je ».
Christian Caujolle
Conseiller artistique