Il fallait une grande exposition rassemblant près d’une centaine d’œuvres photographiques pour celle qui photographie, depuis toujours, le silence, les odeurs et la musique du petit matin, du crépuscule et de la nuit tombée. Non pas des temps agités ou spectaculaires, mais les instants qui lui permettent ses moments de grâce, où elle convoque la lumière et les couleurs posées sur le banal, du sol au ciel et qui, par son œil, deviennent de purs moments de poésie où l’instant s’installe dans le temps.
Il fallait réunir toutes ces photographies sans thématique, loin de l’idée de séries ou bien d’alibis conceptuels pour prendre la dimension de l’univers sensible de Dolorès Marat.
Les murs du jardin et les deux étages de la Villa Pérochon accueilleront 92 photographies réalisées en tirage Fresson, mais aussi en tirage numérique jet d’encre, nouveau terrain de jeux de Dolorès Marat.
Dolorès Marat
Née en 1944, Dolorès Marat a commencé la photographie à l’âge de quinze ans en travaillant dans la boutique d’un professionnel de Sucy-en-Brie, au sud-est de Paris. Elle a ensuite été laboran- tine dans le magazine de mode Votre Beauté pendant dix-sept ans, puis photographe de studio pour ce même magazine pen- dant dix ans. Elle n’a commencé à travailler pour elle qu’au début des années quatre-vingts, menant une recherche indépendante des modes et des genres.
De 2000 à 2007, elle se rend régulièrement à New York, capti- vée par cette ville, son énergie, ses particularismes, et décidée à en livrer sa vision personnelle, proche du ressenti pictural d’Ed- ward Hopper. «Ce qui m’intéresse, avant tout, c’est la solitude des gens dans les villes. Il y a un monde fou dans le métro ou ailleurs, et tout d’un coup, il y a une personne que j’arrive à iso- ler, dans sa bulle, et cela me touche énormément. C’est assez simple. » New York lui apparaît plus diversifiée que Paris, elle dé- couvre des ambiances nouvelles à chaque pâté de maisons et se laisse surprendre par elles. Pendant ces sept ans, elle expose à deux reprises à New York, à la Witkin Gallery puis chez Aperture.
Elle se considère comme une autodidacte soucieuse de découvrir ce qu’elle n’a pas appris à l’école et est attirée par la mise en ex- périmentation de ses propres capacités. Pour Dolorès Marat, la photographie est plus qu’une revanche sur la vie, elle lui permet d’être ailleurs et de découvrir des ciels, des neiges ou des gens qui lui disent des choses qui l’interrogent depuis toujours. On peut se demander si le Leica, son appareil fétiche, ne lui a pas permis de vaincre la timidité de son enfance, cette trop longue période où elle s’est sentie abandonnée, mise en retrait du monde parce que placée en orphelinat comme beaucoup d’enfants à cette pé- riode. Faut-il d’ailleurs découvrir ses images sur l’enfermement des animaux comme une métaphore de sa propre enfance ?
Ce qui frappe dans ses photographies, c’est le sentiment d’ab- sence, les personnes en retrait, avec une déréliction malgré tout feutrée. La photographe nous livre des ambiances nocturnes, fi- nissantes, où il n’est pas question de montrer les choses mais de les approcher et de les ressentir. Elle utilise le tirage Fresson et aujourd’hui le plus souvent le tirage numérique jet d’encre carac- téristiques pour le rendu impressionniste des couleurs. Leurs tex- tures veloutées et le matiérisme énigmatique favorisant l’atempo- ralité des images et donnant de quoi générer de nombreux récits.
« Je ne suis pas reporter, je ne veux rien démontrer, rien prouver. Juste trouver une émotion, qui me fait penser à moi quand j’étais petite. Quand je vois quelque chose, je me raconte des histoires.
A l’orphelinat, je me racontais beaucoup d’histoires. Par exemple, quand j’ai pris des oiseaux, pour moi, c’était des éclats d’obus. Je suis très sensible aux bruits de guerre (…) Je suis tendue par la photo 24h/24. Même quand je dors, je fais des rêves, des cauchemars au sujet de mes appareils photos. Je rêve, par exemple, que j’ai un trou dans l’appareil… »
Elle fait ses réglages avant de se mettre en marche. Puis tout va vite: aucune retouche, aucun recadrage, aucun changement de couleur, elle ne garde que les photos qui restituent l’émotion qu’elle a eue. Elle travaille aussi bien dans l’instant qu’avec des pauses longues mais elle ne veut ni pied, ni éclairage supplémen- taire. Cela favorise bien sûr le flou mais ce n’est pas un élément recherché. Dolorès Marat n’hésite pas à rappeler Cartier-Bres- son, pour qui la photo se faisait à la prise de vue. Elle pense que son image doit être belle tout de suite. Elle se tient toujours à une certaine distance des gens, parce qu’elle travaille au 50mm ou au 35mm et parce qu’elle n’écoute que sa propre vision, celle qui résonne dans le champ de l’émotion, là où il n’y a pas de place pour le téléobjectif.
Dolorès Marat a publié de nombreux livres, parmi lesquels : New York USA, (texte Patrick Roegiers, Marval, 2002), Illusion (texte Marie Darrieussecq, Filigranes, 2003), Paris, Correspondances (texte d’Arlette Farge, La Pionnière, 2015), Mezzo voce (texte de Lionel Bourg, Fario, 2018).