Sous le titre « Dessein(s), Intentions dessinées », La Fab. réunit les œuvres graphiques de cinq artistes de générations différentes comme autant de pratiques singulières, comme autant de pensées en actes.
Yann Bagot dessine avec et dans le paysage. Sous-bois, mers, ruisseaux et torrents… sont ses modèles comme aussi ses alliés. Dessinant littéralement sur le motif, il fait corps avec les lieux, avec leurs intensités. Sources, éruptions, équinoxes, chaos, forges, glaciers… Des sujets tout en mouvements, en fontes et en poussées. Comment donner forme à la transformation même, qu’elle soit géologique ou liquide ? Comment représenter ce qui, par essence, échappe à la fixation ? Parfois, pour stabiliser ou bien altérer l’encre non encore sèche, il plonge la feuille dans l’eau de mer, la dépose sous une cascade, sous la pluie… Il laisse faire, délègue une large part à l’aléatoire et à l’accident. Il s’allie avec les puissances de la nature pour parachever le dessin..
Simon English dresse des cartographies mentales. Sa pratique proliférante se nourrit de tout ce qui l’enchâsse. Rien n’est impossible, rien n’est tabou à la surface du papier. Ses assemblages, parfois monumentaux, condensent et concentrent ses explorations intimes : états d’âmes, de corps, énervements, joies, obsessions, peurs, colères, fantômes, désirs, fantasmes, addictions, rages… Il cherche à se libérer de la narration consciente, à laisser émerger, apparaître des signifiances insoupçonnées. Ses assemblages, aux tonalités majoritairement brunes et roses, portent en eux quelque chose de la fragilité du vivant. Quelque chose des puissances rhizomatiques des inconscients.
Jacques Floret déroule une pratique graphique proche de l’illustration. Son vocabulaire formel est simple et coloré, presque naïf. Il joue de la surprésence des images et de leur circulation. Pour l’exposition, il présente un ensemble de 21 planches de format A3. Avec son Bic 4 couleurs, il dessine, reprend, refait. Parfois des images de l’actualité, ailleurs des images intimes, ici des papillons.
Le Grand nacré, l’Apollon, L’Argus satiné, le Demi-deuil, le Myrtil… volètent et se posent qui, sur un fer à repasser, qui, un sac poubelle ou une pomme … Autant de situations quotidiennes mettant en situation les lépidoptères. Fixant, avec ces traits plus ou moins parallèles, griffonnés, des moments suspendus, voletants, reprenant la symbolique de l’insecte, ces planches s’inscrivent dans la grande tradition des Vanités.
Il y a du corps chez Cham Lavant. Performances, films et dessins dressent des cartographies énergétiques libidinales. Les corps désirent. Les corps suintent. Les énergies sont des flux. La série des « Bals » contient une dimension performative. Les traits au fusain, trembles et électriques, jetés, rapides, construisent des paysages scéniques et corporés entre Ettore Scola et Jérôme Bosch. Les corps y dansent, y boivent, roulent sous les tables. Seules ou en groupes, ces silhouettes traversent ces moments dionysiaques. Les échelles et divers états de la perspective se mêlent, entre maladresse et rébellion rock. Les corps, parfois genrés, parfois non, parfois nus, parfois non, ici s’assemblent, s’enroulent, s’effondrent, semblent traversés par des fureurs bacchanales. Les scènes transpirent l’excès.
Solène Rigou explore un unique motif. Elle dessine des mains. Des mains en actions, des mains qui touchent, qui tiennent, qui font signe, qui pendent, qui sont au repos ou au travail, avec ou sans bagues, avec ou sans vernis à ongles, des mains dans leur évidence première.
Partant de photographies prises sur le vif, elle immortalise des moments d’échanges, les recadre et les recentre sur son motif d’élection. Puis, elle dessine, avec virtuosité, aux crayons de couleurs sur des petits panneaux de bois poncés. L’image acquiert ainsi un poids, une masse qui la transmute en objet. Le temps passé lui permet d’apprivoiser la mémoire.
Ces mains, d’elle connues, sont à nous pour toujours anonymes. Dressant ainsi des portraits situés et en même temps génériques, elle s’ancre dans une histoire de la représentation poursuivant la fortune iconographique de ce motif dans l’histoire de l’art pour explorer et réfléchir quelque chose de l’humaine condition.
Encre de chine, Bic 4 couleurs, crayons de couleurs, fusain, feutres… tout ici fait dessin. Ça combine, ça répète, ça reprend, ça réitère. Ces œuvres, fortement narratives et obsessionnelles, tentent de maintenir la fugacité des instants, de fixer la fragilité de l’impermanence, les flux, les énergies en action.
Frank Lamy