Après l’obtention, en 2007, d’un diplôme à l’École supérieure des beaux-arts du Mans, Mathieu Dufois a commencé par réaliser, lors de Cours d’Assises, des portraits d’accusés pour les journaux locaux. Il s’agissait déjà, par le dessin, de chercher à retranscrire la mémoire d’une scène, d’un événement, d’une personne. Sur papier, que peut-on enregistrer du réel ? Par ce médium, il ausculte le passé, les souvenirs et les images qui en découlent. Cette exploration passe notamment par la réappropriation de séquences de films ou de photographies d’archives : un décryptage, presque comme une démarche archéologique, qui fouillerait dans les différentes strates de l’image afin de les faire remonter à la surface. On songe par exemple aux dessins des séries Façade (2012) et Lumières (2016), ou encore à ceux de la Harde (2017), pour lesquels il s’inspire notamment de peintures rupestres. Quelles traces persistent encore de ces lieux, époques, existences ?
Passionné de cinéma, Mathieu Dufois en a fait l’une de ses matières premières. Il s’inspire de films noirs et iconiques des années 1950-60, fasciné par leurs atmosphères et leurs personnages à la marge. De séquences de quelques minutes – souvent des moments de tension particulière –, il extrait plusieurs clichés puis, à la pierre noire, il transforme ces derniers, les recompose, les colle et les assemble pour finalement créer son propre montage, comme on peut le voir dans sa série de dessins intitulée l’Éclipse (2013-17). Les œuvres de Mathieu Dufois procurent une impression de déjà-vu, cependant, ses images étant construites de toutes pièces, elles laissent diffuses leurs sources d’origine, qui ont donc souvent tendance à nous échapper. Ses dessins deviennent des mises en abîme – en copiant le cinéma qui lui-même copie le réel –, particulièrement sensibles dans ses Movie Theaters mettant en scène des salles de projection désaffectées.
Prises de nuit, influencées par le roman noir, ses propres photographies peuvent aussi lui servir de point de départ, tout comme ces images de famille extraites de films souvenirs, tournés en Super 8, à partir desquelles il dessine sa série Hors Vue (2015-17), ou ces clichés d’animaux qu’il prend dans la forêt de Lascaux ou le parc du Thot, et qui aboutissent à la création de la Harde (2017).
Mathieu Dufois réalise également des courts métrages – succession de dessins projetés –, entre animation et expérimentation, où les décors eux-mêmes deviennent des sujets, les maquettes des studios de cinéma, les personnages, dessinés puis découpés, des acteurs. On pense ici à sa Trilogie des Vertiges (2012-17), qu’il consacre à différents âges d’une ville inconnue – la Conservation de l’éclat (2012), Par les ondes (2014), Sauf la lumière (2017) –, mais aussi à Eidôlon (2017), dont le cadre se situe entre le plateau de tournage et la réserve de musée.
Dans ces films qui réactivent une histoire tout en la transfigurant, les figures ont une présence quasi surréelle, entre l’apparition et le fantôme. En effet, la pratique de Mathieu Dufois s’attache à ce lien que les images ont toujours entretenu avec le monde des défunts, autrement dit, l’image dans son rapport à l’absence et à la mort.
La Harde est une série de quatre dessins à la pierre noire.
Chacun de ces dessins est inspiré de plusieurs photographies prises dans la forêt de Lascaux ou au sein du parc du Thot. Mathieu Dufois n’a cessé d’y photographier les animaux, qu’ils soient à l’état sauvage ou domestiqués. Cervidés, aurochs, bouquetins et bisons y sont représentés : ceux-là mêmes qui ornent les parois des grottes préhistoriques.
Agencés pour ne faire qu’un seul corps, ils se révèlent aussi monstrueux que fascinants, comme des bêtes surgissant d’une forêt noire, empreints de cette magie que nos ancêtres ont tenté de traduire à travers les peintures rupestres.
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Kate MccGwire évolue dans une monde fascinant et fantastique.
Enchanteresse pour certains, sorcière pour les autres, elle joue sur tant de registres que ses œuvres ne laissent personne indifférent.
À partir de plumes de pigeons patiemment récoltées, nettoyées et assemblées, elle crée depuis 2004 toute une faune inédite de formes mêlées, entrelacées, animées de mouvements, d’ondulations qui semblent douées de vie et d’expansion. Ce bestiaire tout droit sorti d’un livre de contes de fées, qui s’enroule sur lui-même, et dont on ne saurait trouver ni commencement ni fin, réussit l’exploit de nous ramener à des temps obscurs, primaires et incertains tout en nous semblant d’une incroyable familiarité.
Et c’est bien dans ce phénomène surprenant que se dévoilent les axes principaux du travail de Kate MccGwire : en jouant tout à la fois sur l’emploi de matériaux communs et facilement identifiables, mais inusités, Kate MccGwire reprend en partie le concept freudien «Unheimlich» (l’étrange, ou littéralement, l’inhospitalier), c’est-à-dire l’idée d’un espace où le familier peut en quelque sorte susciter la peur. La nature première du matériau persiste dans nos esprits et vient comme troubler, tout au moins parasiter notre vision.
De plus, en s’appuyant sur l’imaginaire collectif, les associations d’idées et les oppositions conscientes ou inconscientes, Kate MccGwire cherche également à questionner la notion même de beauté (un sentiment du beau indépendant de tout principe d’esthétisme, une beauté qui serait problématique, complexe, et même repoussante), et à rendre beau ce qui, a priori, ne l’est pas. L’artiste joue sans cesse avec nos perceptions jusqu’à sacraliser ces « curiosités » par la préciosité des vitrines antiques.
Enfin, Kate MaccGwire place aussi au centre de son questionnement la relation de l’œuvre au spectateur : dès les premiers croquis au crayon, les formes circulaires ou en spirales, récurrentes créent une sorte de « champ d’attraction », qui incitent le spectateur à se rapprocher au plus près de l’œuvre, à casser la distance naturelle que l’on observe avec une chose nouvelle. Face à ces œuvres indéfinissables, nous sommes comme aimantés, et que nous aimions, ou au contraire que nous rejetions ce qui nous est donné à voir, nous sommes englobés par l’œuvre dont le souvenir restera longtemps ancré en nous.