Conçue en France comme un métier, un loisir ou plus rarement un art, la photographie se trouve érigée en fait culturel majeur en moins d’une génération. Alors que le reportage s’était imposé comme son grand repère, elle ne trouve désormais plus dans la presse son seul lieu d’expression. La photographie en France connaît une métamorphose.
Ce sera désormais l’aventure des auteurs, et la quête de modèles plus littéraires et artistiques – ce qui n’empêche pas l’engagement social ou politique. La photographie aspire dès lors à devenir un moyen d’expression à part entière. Après la page du journal, c’est la cimaise du musée ou la page du livre d’artiste, qui forge sa légitimité.
Pour relever le défi de la création, les photographes français réinventent l’idée même de photographie, changent de format comme de sujet.
Le modèle de la photographie américaine s’impose, comme dans la musique ou le cinéma. Mais cette « influence » rencontre un milieu de la photographie en pleine réflexion. Ce que l’on appellera plus tard la « french théorie » (philosophie, sciences humaines et du langage) enrichit les débats et inspire les photographes. Entre la fin des années 1960 et celle des années 1980 – symboliquement entre deux moments historiques, Mai 68 et la chute du mur de Berlin –, la photographie ne ressemble plus à celle, dite « humaniste », que l’on voyait jusqu’alors en France. À la fois plus subjectives et plus intellectuelles, les années 1970-1980 sont celles d’une génération qui voit l’entrée de la photographie dans l’art contemporain. Les formats explosent, la couleur s’impose, l’esthétique devient la préoccupation première. Les institutions naissent, à l’instar du Centre national de la photographie : celle-ci a conquis son autonomie, au même titre que le théâtre, la littérature ou le cinéma. Mais elle reste le grand médium du réel. Les photographes mènent une action déterminée
pour représenter un pays qui sort peu à peu des Trente Glorieuses et affronte le temps des crises économiques.
À cette époque où la photographie doit gagner sa légitimité, chaque œuvre devient un manifeste: plus qu’une image, la photographie est devenue une culture.
Michel Poivert, commissaire de l’exposition