Cette exposition est née avec la volonté d’interroger cette pratique populaire et contemporaine pour un large public, afin de permettre, entre autres, aux parents de comprendre les usages qu’en font leurs enfants, et leurs enjeux, tout en y apportant un regard neuf et critique. Finalement cette pratique questionne l’identité, la représentation de chacun, l’individu et le groupe, mais aussi la perception du groupe des images diffusées par un individu.
Selfies, Ego / Egaux d’Olivier Culmann, assisté de Jeanne Viguié.
Cette exposition a été créée il y a un an à l’occasion du festival Portrait(s) à Vichy. À Niort, ce sera sa deuxième présentation. Olivier Culmann, membre de Tendance Floue, que nous avons accueillis lors des Rencontres de la jeune photographie internationale en 2016 avec notamment la série The Others, en est le commissaire assisté de Jeanne de Viguié.
Il interroge cette pratique populaire qui a envahi les réseaux sociaux. Avec l’humour et l’intelligence qui le caractérise, il nous livre le résultat de cette enquête par une réflexion approfondie sur cette révolution photographique et sociale, au travers d’une exposition foisonnante.
La photographie a connu ces dernières années une véritable révolution. Alors que depuis sa création, l’appareil photographique était dirigé – comme notre œil – de soi vers les autres, sa direction s’est brusquement inversée.
Je m’interroge depuis longtemps sur les raisons qui ont poussé à ce retournement vers nous-mêmes.
Comme beaucoup, je n’y ai d’abord vu que l’expression d’une époque individualiste et par conséquence d’un comportement purement égocentrique.
La série Seoulfie, que j’ai réalisée en Corée en Sud en 2014, est née de cette interrogation et proposait une « visite » de Séoul à travers ce mode opératoire de l’égoportrait.
Pourquoi, à un moment donné, avons-nous ressenti le besoin de cette inversion ?
Le mot selfie a été utilisé pour la première fois en 2002 par un étudiant australien ayant pris une photo de sa lèvre tuméfiée à la suite d’une soirée trop arrosée, afin de la transmettre à des médecins pour obtenir un diagnostic. Les jalons étaient ainsi posés. Car, bien que le mot ne soit entré dans le dictionnaire qu’une dizaine d’années plus tard, cette anecdote fondatrice rejoint la définition même du selfie : il est un autoportrait réalisé pour être envoyé à un (ou plusieurs) tiers.
Ainsi, la fonction principale du selfie est-elle de l’ordre du moyen de communication (ce qui peut même aller jusqu’à débarrasser le selfie de la nécessité de pérennité propre à la photographie : un selfie peut éventuellement disparaître après réception, comme dans l’application Snapchat par exemple). Il fut une époque où l’on s’envoyait des lettres, puis une autre où l’on se passait des appels téléphoniques, puis des messages textes et aujourd’hui l’on s’envoie des photos de soi-même pour rendre compte d’une situation : « Regarde, je suis à la plage, je suis heureux et je te le dis. »
En cela, le selfie, contrairement à la majorité des types photographiques, n’a nul besoin d’être esthétique pour exister. Au contraire, il sera plus accessible et invitera davantage à une réponse s’il reste visuellement « modeste ». Beaucoup le mépriseront ainsi pour sa « pauvreté » esthétique et n’auront de cesse que de le réduire à son caractère égocentrique. On est en droit de ne pas l’apprécier, mais on ne peut nier qu’il prolonge l’histoire et l’évolution d’une photographie rendue petit à petit accessible au plus grand nombre.
Je ne serais pas surpris que dans un avenir plus ou moins lointain, le selfie – comme bon nombre d’autres types photographiques « non professionnels » – nous offre davantage d’informations sur notre époque, nos sociétés et nos façons de vivre que les productions qui se veulent documentaires ou journalistiques.
Pour aller plus loin, j’oserais l’hypothèse que l’intérêt de la photographie réside souvent, non pas dans ce qu’elle montre, mais dans ce que sa forme et l’utilisation que nous en faisons racontent de nous-mêmes.
Olivier Culmann