Dans les moeurs du collectif Tendance Floue, il est souvent question de réunion, de débat, d’action, de mise en oeuvre collective, de commande, d’exposition, de publication et, à chaque fois, de célébration ! Leur 25ème anniversaire, qu’ils inaugurent ici et qui se poursuivra tout au long de 2016, est une de ces occasions en or leur offrant la possibilité d’inviter leur public à partager de nouvelles propositions, sous les hospices d’une maturité photographique tant du collectif que de chaque artiste qui le compose.
Tendance Floue, fondé en 1991 par Caty Jan, Denis Bourges, Mat Jacob, Patrick Tourneboeuf, Thierry Ardouin, qui furent rejoints très rapidement par Gilles Coulon, Meyer, Olivier Culmann, Pascal Aimar, Philippe Lopparelli, est une affaire de confrérie qui a évolué en quasi fratrie. Une fois intronisé à « Tendance », on reste soudé ensemble pour le pire comme le
meilleur et l’on partage tout : les succès comme les moments difficiles, les coups de gueule comme les rires, les années glorieuses comme celles des refontes budgétaires qui frappent la photographie ces dernières années et qui a, ici comme ailleurs, suscité des remises en question. Tendance Floue sait aussi incroyablement oeuvrer ensemble pour les grands projets fédérateurs comme les « M ad in » 1, cartes blanches qu’ils fabriquent aux quatre coins du monde selon leurs inspirations, en corrélation avec des écrivains et des graphistes afin de produire une publication et une exposition de
forme totalement collective où l’individu s’efface au profit d’une oeuvre commune. Tendance Floue, n’ayant pas de structure oligarchique, offre parallèlement entière liberté à chaque artiste de développer des projets personnels, tout en lui apportant le soutien amical mais aussi le regard critique nécessaire. S’il l’on peut presque l’assimiler à un concept d’agence par certains côtés, Il y a là un concept d’autogestion, de coopérative libertaire qui le différencie et, qui en a séduit plus d’un, au-delà même de l’inspiration insufflée à d’autres collectifs qu’on a vu fleurir dans les quinze dernières années en France.
Au fil du temps, les fondateurs ont su accueillir d’autres auteurs venant d’autres horizons tel que Flore-aël Surun, Bertrand Meunier, et Alain Willaume. Tout cela est affaire d’amicalité et partage de conviction. On pourrait du coup s’attendre à une volonté d’homogénéité dans ce désir d’élargissement, à une « tendance stylistique », précise. A contrario, l’hétérogénéité du
groupe s’est enrichie, renforçant sa force de frappe en démultipliant remarquablement ses ressources artistiques au fil de ces années de dynamique communautaire et fraternelle.
A l’origine du collectif, la pratique du reportage a été fortement marquée politiquement. Elle a rassemblé des démarches incontestablement diverses, tant et si bien que le monde professionnel a eu tendance à user du qualificatif d’auteurs pour désigner ces photographes atypiques livrant des messages engagés à travers leurs écritures visuelles.
Cependant la somme cumulée, notamment dans les publications, présente une indéniable vision d’ensemble qui peut surprendre d’autant plus qu’elle vient s’enrichir régulièrement d’un dialogue éditorial foisonnant avec écrivains, philosophes et critiques de différents horizons. C’est donc bien cet important engagement socio-politique qui créé le liant de cette pratique collective déterminée.
Conjointement à cette assise intellectuelle et politique, il est important de pointer l’évolution stylistique de chaque membre de Tendance Floue au long de ces 25 années. Leurs pratiques photographiques ont évolué parallèlement à une maturité qui les a entrainé dans des explorations techniques et esthétiques différentes :
certains creusant le sillon d’une écriture de plus en plus singulière, d’autres cherchant au contraire, à parachever une esthétique documentaire distanciée, d’autres encore, attirés par les possibilités offertes par le numérique et les nouvelles technologies, en sont venus à questionner le statut de l’image même et à diversifier leur langage visuel en fonction des recherches entreprises. Enfin, quelques-uns ont élargi leurs pratiques en associant la photographie à une multiplicité de langages tels que l’image mouvement ou le dessin. De facto, la prise de risque reste vivace au sein du collectif.
Ce dernier est toujours à l’origine d’échos et de débats énergiques, car à l’évidence, faire parti d’un groupe de réflexion offre la richesse de possibles remises en cause et l’ouverture nécessaire à d’autres perspectives.
Pour l’exposition inaugurale des 25 ans de Tendance Floue à laquelle l’espace Topographie de l’art offre la possibilité d’un déploiement d’envergure, il est impossible de passer à côté des icônes historiques qui font désormais partie de son patrimoine. Elles sont autant de symboles politiques et artistiques qui jalonnent son parcours. Elles marquent les expositions et les publications de leur excellence et de leur diversité comme autant d’étendards et de banderoles de l’engagement du collectif. Si
cette résurgence est bienvenue et attendue, il ne s’agit pas de s’y limiter car si Tendance floue perdure valeureusement, c’est dans ses développements actuels qu’il s’agit de remarquer les évidentes ressources de cette 25e célébration. Et, au-delà des travaux récents ou en cours, il y a ceux non encore publiés ou exposés qui enrichiront la proposition visuelle par autant d’inattendus.
Tendance Floue est autant un collectif que la somme de treize individualités artistiques et c’est donc dans cette logique que les commissaires ont décidé de poursuivre la mise en avant de leurs démarches personnelles. Cela a été déjà le propos du parcours en galeries de 2011 qui donnait à voir des expositions personnelles. La grande exposition à l’espace Topographie de l’art permettra de saisir comment les créations individuelles viennent s’agréger et nourrir une vision collective dont la puissance estautant poétique et artistique que politique.
Christine Ollier