« Il est étonnant de constater à quel point les choses ne sont pas ce qu’elles prétendent être, comment les images de lieux exotiques manquent de conviction, les complexes touristiques de luxe ressemblent à des hôpitaux psychiatriques, et ces derniers, à des stations thermales. »
Lynne Cohen, 2001
Lynne Cohen, bien que née aux États-Unis (1944, Racine, Wisconsin,) est l’une des pionnières de la photographie contemporaine canadienne. Après avoir étudiée à la Slade School of Fine Art at University College de Londres, Lynne Cohen poursuit l’enseignement du département des sciences de l’University of Wisconsin à Madison de 1965 à 1967, puis du département des arts visuels de la Eastern Michigan University de 1967 à 1969, en particulier à l’atelier de sculpture. En 1973, elle déménage définitivement au Canada, tout d’abord à Ottawa pendant trente ans, puis à Montréal de 2003 jusqu’à son décès en 2014.
Toute son œuvre porte l’empreinte de cette double formation en science et en arts visuels, mais également en anthropologie, en philosophie et en littérature. Son approche d’une photographie précisément composée, froide, neutre et distanciée privilégie dès lors la prise de vue à la chambre et en noir & blanc d’univers vidés de toute présence humaine, alors même qu’il s’agit en fait d’espaces domestiques, commerciaux ou institutionnels, de sites professionnels, industriels ou utilitaires liés aux loisirs, à l’éducation ou à la santé, voire même de laboratoires de recherches scientifiques, médicaux ou militaires. Chacun d’entre eux apparaît ainsi comme de “faux indices” du réel, le décor factice du théâtre pitoyable ou absurde d’un monde où l’homme est réduit au simple rôle de pion ou de figurant au sein d’un scénario qui le dépasse ; aussi celui-ci est-il d’autant plus absent que le récit semble écrit pour lui à l’avance.
En retour, face à des photographies léchées, précieusement encadrées de formica et qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique des brochures commerciales, publicitaires ou immobilières, le regard du spectateur reste sur le seuil des images comme sur le seuil d’espaces interdits ou défendus, comme si ceux-ci dévoilaient enfin leur part d’ombre, le secret bien gardé d’une société de la conspiration, de la manipulation et du complot – La vérité est ailleurs ! Au fil d’une œuvre rigoureuse et parfaitement maîtrisée, Lynne Cohen a ainsi subtilement révélé les stratégies de surveillance et de normalisation des comportements sociaux contemporains tout autant que les intrigues et les compromis de la société nord-américaine de la seconde moitié du XXe siècle, et dont nous vivons encore les derniers soubresauts.
Cette exposition, la première d’importance en France depuis 2009-2010, parcourt l’ensemble de l’œuvre de Lynne Cohen depuis ses premières expérimentations en petits formats datant du début des années 1970 et liées à l’American Way of Life aux commandes monumentales en couleur de la fin des années 2000, en particulier celles sur les installations militaires, sur le territoires de Cherbourg-Octeville, aux Centres thermaux de Dax ou pour le lobby de la banque Neuflize OBC.
Marc Donnadieu