Le 17 avril 1975 les soldats Khmers rouges entrent dans Phnom Penh et, en trois jours, vident la ville alors habitée par un million et demi de personnes. En dehors de quelques fonctionnaires et dignitaires du régime, la capitale devient une cité fantôme jusqu’à ce que les troupes viet- namiennes en prennent le contrôle le 17 janvier 1979. Ils trouvent une ville dévastée, sans électricité, aux rues défoncées dans lesquelles ont poussé des arbres.
Il faudra attendre le milieu des années quatre-vingt-dix pour que la reconstruction redonne à la ville l’attrait de sa fluidité due aux immeubles bas. Aujourd’hui, la ville vit une transformation profonde et anarchique, sur fond de spéculation immobilière et de corruption, de développement incontrôlé, de destruction du patrimoine architectural, d’édification de tours et de bâtiments massifs. Si elle perd de son cachet et de son identité, Phnom Penh vit l’illusion d’avoir rejoint, à une vitesse sidérante, la « modernité ».
C’est dans ce contexte qu’une riche scène artistique est apparue, surprenante dans un aussi petit pays qui ne connaît aucun enseignement artistique digne de ce nom. Elle est singulière, innovante, marquée par des individualités fortes impossibles à rattacher à des courants inter- nationaux et elle surprend d’autant plus qu’elle ne se fonde sur aucun marché local. Tous ces artistes créent par nécessité profonde et, si certains commencent à être reconnus par les expatriés et quelques uns à l’international, c’est avant tout un besoin d’expression, de se définir, de se chercher et de se situer face à la situation actuelle du pays qui fonde leur expression. La photographie est un des domaines – avec la danse et le cinéma – les plus riches et créatifs de cette nouvelle scène cambodgienne. Portés par la dynamique du festival Photo Phnom Penh qui fête cette année sa dixième édition et qui leur a permis de rencontrer des photographes étrangers, des jeunes ont commencé à s’exprimer, pour analyser la situation de leur pays, pour critiquer, tenter de mieux comprendre, pour, aussi, regarder vers l’avenir. Dans des styles très divers, du documentaire au conceptuel, ils sont la preuve d’une reconstruction profonde, dense, marquée sur quatre générations par les problématiques de la mémoire, de l’histoire et de l’identité. Au moment où le pays se confronte à la présence de plus en plus massive de ce que l’on peut nommer une véritable « invasion » chinoise.
Christian Caujolle