D’une carrière qui traversa six décennies, Abbas ; immense photojournaliste, membre de l’agence Magnum depuis 1981, laisse derrière lui un témoignage unique sur le monde, ses sociétés et ses conflits. Du Biafra au Bangladesh, de l’Irlande du nord au Vietnam, du Moyen- Orient à Cuba et de l’Afrique du Sud au Mexique, Abbas a couvert avec son appareil, la sensibilité de son regard mais aussi sa grandeur d’âme de nombreuses guerres et révolutions, en quête d’une absolue vérité.
À travers quatorze photographies d’une grande intensité, l’exposition « Vietnam, Forget ME Not », organisée en partenariat avec l’Association Abbas Photos et présentée pour la première fois en Europe, propose de découvrir le reportage réalisé par Abbas au Vietnam entre 1972 et 1975 puis lors d’un autre voyage qu’il entreprit trente ans plus tard. La puissance et la finesse de son œuvre, sa dimension esthétique, transcendent le simple propos historique et politique et révèle le talent et l’humanisme de celui qui incarna toute une génération de photojournalistes.
« Décembre 1972 […]. Nous visitons un camp de réfugiés, installé sur une ancienne base militaire aéricaine. Sur la porte d’une cabane faite de bric et de broc, un graffiti maladroit : Forget ME Not. […]. Quarante-cinq ans plus tard […], je me dis qu’il est temps que moi aussi, j’inscrive « Forget ME Not » quelque part. Je me plonge alors dans mes planches-contact, heureux de raviver mes souvenirs à mesure que défilent les bandes de négatifs, émerveillé de découvrir quelques pépites qui n’avaient pas retenu mon attention lors de l’éditing de 1972. »
Lorsqu’Abbas arrive au Vietnam en 1972, le pays est à feu et à sang. Ses ainés – Gilles Caron, Don McCullin ou encore Marc Riboud – ont déjà couvert et immortalisé les faits marquants de cette guerre très médiatisée.
Abbas décide alors d’en livrer un reportage unique et singulier, en s’intéressant à chacun des deux clans qui s’affrontent : Le Vietnam du nord ; le Vietcong et le Vietnam du Sud. Le photojournaliste offre un témoignage saisissant de ce pays en lutte. Son regard acéré restitue une vision grave des villes, des gens, des affrontements.
«Je ne raconte pas l’histoire telle qu’elle se passe. Je raconte l’histoire telle que je la vois, de mon point de vue. Il y a une différence. Je m’intéresse bien sûr au monde, mais aussi à ma propre vision du monde. […] Je me rends dans des endroits, prends des photos, couvre tous les aspects du problème, pas seulement d’un côté ou de l’autre, pas seulement le Sud Vietnam mais aussi le Nord Vietnam. J’essaye de montrer mon point de vue, ce que je pense, et pas seulement de suivre des évènements.»
«C’est en quittant le Vietnam, dans l’avion climatisé où même la voix de l’hôtesse est aseptisée, que cette dernière me fait soudain prendre conscience combien je me suis attaché à ce pays, à son anarchie et à sa douceur, à la guerre, aux amours impossibles. J’en ai la chair de poule ; je retiens difficilement mes larmes. Le Mal Jaune m’a conquis moi aussi.»
Profondément marqué par le Vietnam, Abbas y retourne en 2008. Il y confronte alors ses souvenirs à cette nouvelle nation désormais ouverte au capitalisme. De ce voyage est né une seconde série de photographies ainsi que de nombreux textes dans lesquels il raconte son quotidien de photographe dans ce pays qui l’a tant touché.