Fin 1934, deux jeunes chercheuses, Thérèse Rivière (1901-1970) et Germaine Tillion (1907-2008), se voient confier par le musée d’ethnographie du Trocadéro – devenu peu après le musée de l’Homme – une mission d’étude qui les conduit pour plusieurs années dans l’Aurès. Situé dans l’Est algérien, à la lisière du Sahara, ce massif montagneux abrite alors quelque 60 000 Chaouis population berbère qui conserve son ancienne économie agropastorale.
Armées d’un Leica et d’un Rolleiflex, les deux femmes y prennent plusieurs milliers de photographies qui poursuivent et renouvellent une tradition déjà longue de la représentation aurésienne. S’y ajoute un film tourné par Thérèse Rivière en 1936.
Disparus avec la déportation de Germaine Tillion en 1942, et le long enfermement hospitalier subi par Thérèse Rivière à partir de 1948, ces documents ont été redécouverts au début des années 2000. L’exposition « Aurès, 1935. Photographies de Thérèse Rivière et Germaine Tillion », sous le commissariat de Christian Phéline, présentera une sélection de 120 photographies dévoilant le rapport particulier établi par chacune des observatrices avec leur sujet : l’une – Thérèse Rivière – plutôt « ethnographe » de terrain et très empathique dans son approche des Aurésiens ; la seconde – Germaine Tillion – davantage « ethnologue » et plus portée à la réflexion théorique.
Ces images nous donnent à voir une société traditionnelle encore largement préservée, ses rapports à la présence coloniale et la manière dont elle se livre au regard des deux ethnographes. Elles révèlent aussi le ressort affectif et visuel qui souvent semble détourner les observatrices d’une approche purement documentaire. Tout en témoignant d’un moment précis de la recherche ethnographique, leurs clichés s’inscrivent ainsi dans une histoire tant esthétique que sociale de la photographie.
TEXTE D’INTENTION
DE CHRISTIAN PHÉLINE, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION – DIRECTION ARTISTIQUE : GILLES MORA
Cette exposition du Pavillon Populaire présente, pour la première fois ensemble, une sélection de photographies prises par deux jeunes chercheuses, Thérèse Rivière et Germaine Tillion, lors d’une mission ethnographique conduite à partir de 1935 dans l’Aurès.
De même que la célèbre mission Dakar-Djibouti (1931-1933) conduite par Michel Leiris et Marcel Griaude en Afrique subsaharienne ou que l’expédition en Amazonie de Claude Lévi-Strauss (1934), leur longue enquête est menée au nom du musée d’Ethnographie du Trocadéro, qui deviendra en 1937 le musée de l’Homme.
Si Thérèse Rivière s’est plutôt concentrée sur l’étude des activités matérielles et à l’économie domestique, Germaine Tillion s’est quant à elle consacrée à celle des relations de parenté et de pouvoir dont traiteront par la suite ses ouvrages Le Harem et les cousins (1966) et Il était une fois l’ethnographie (2000).
Longtemps oubliée, la masse des images fixes et animées, des dessins, des enregistrements sonores, des notes de terrain réunies par les deux chercheuses et le millier d’objets versés par elles dans les collections du musée donnent la mesure de la tâche exceptionnelle d’observation accomplie par « ces formidables ethnographes de terrain » (Nancy Wood). Leur regard sur la société aurésienne d’alors peut être rapproché de la démarche qui, avec Walker Evans, Dorothea Lange et les autres membres du programme de la Farm Security Administration s’est, dans les mêmes années, attachée à documenter par l’image et par le texte la situation sociale de la paysannerie pauvre du Sud-américain frappée par la grande crise des années 1930.
Témoignage de la pratique ethnographique des années 1930, les photographies prises par Thérèse Rivière et Germaine Tillion au cours d’une mission conduite sur plusieurs années dans l’Aurès donnent à voir une société traditionnelle encore préservée et la différence des regards que chacune des deux chercheuses porte sur elle. Elles ramènent également à la source des engagements algériens de Germaine Tillion après 1954 et à sa pensée d’ethnologue.
Christian Phéline