L’ITINÉRANCE SE POURSUIT À ARLES !
Le Prix HSBC pour la Photographie présente ses lauréats 2021 Aassmaa Akhannouch et Cyrus Cornut ainsi que ses lauréates 2020 Louise Honée et Charlotte Mano, au Capitole du 4 juillet au 29 août 2021.
« La maison qui m’habite encore… »
Mes parents sont maintenant tous les deux décédés.
Enfant, j’habitais une maison rouge. La « maison rouge » était mon adresse, c’était la maison adorée de ma mère. Fermée pendant 30 ans j’ai dû y aller avec ma sœur pour la vider en raison de sa vente imminente. La maison contient encore quelques meubles, trois pruniers, quatre orangers et toute mon enfance.
Je me promène dans le jardin, il n’est pas aussi grand que dans mes souvenirs… C’est la veille
de la fête, ça sera probablement poulet aux olives demain… Ma mère prépare des cornes de gazelles, dans la cour devant la cuisine… C’est l’été et l’immense fenêtre du séjour est grande ouverte. 5 Je m’approche, mon père et ma sœur sont tous les deux derrière un livre.
Il y a des livres partout, mais le soir, on ne me lisait pas des histoires pour enfants, on me les racontait, c’est qu’il y a très longtemps les choses les plus extraordinaires pouvaient encore arriver… C’est la fête demain. J’aurai un ruban dans ma natte, je ne jouerai pas trop le matin pour ne pas abîmer mes chaussures, mais l’après-midi, j’aurai oublié qu’ils étaient neufs… Je regarderai ma mère se coiffer devant son miroir, peut-être qu’elle portera son caftan bleu pâle… Je ne veux pas que cette maison soit vendue, je veux la garder en cette veille de fête, en cet été éternel, engloutie, endormie, car elle n’a jamais cessé d’être mon adresse.
Les images de la série sont des prises de vue dans ma maison d’enfance, mais aussi des mises en scènes qui évoquent mon enfance dans cette maison… Les tirages sont des cyanotypes virés et rehaussés à l’aquarelle, tous réalisés par moi-même.
Aassmaa Akhannouch
« Chongqing, sur les quatre rives du temps qui passe »
Municipalité de Chongqing, République Populaire de Chine, 34 millions d’habitants.
L’une des plus fortes croissances démographiques et économiques mondiales.
L’agglomération centrale de 15 millions d’âmes se voit perfuser de près de 300 000 nouveaux arrivants chaque année.
Chongqing, la « ville Montagne », sillonnée par le fleuve Yangtsé et la rivière Jialing, peine à percer l’épais brouillard qui la recouvre toute l’année.
Héritière des déplacés du barrage des Trois-Gorges et fille des autorités pékinoises qui l’ont élevée au rang de municipalité au même titre que ses grandes sœurs de la côte Est, Chongqing s’est développée à une vitesse vertigineuse. Formes urbaines et infrastructures ont jailli défiant la gravité, épousant les reliefs de ses quatre rives escarpées et gravées par ses cours d’eau. La vitesse de l’urbanisation a pris de haut le temps lent des pêcheurs, de l’érosion des fleuves, de l’éclosion puissante des montagnes.
La danse ininterrompue des grues et des pelleteuses empile les hommes avec une rapidité déconcertante. Plus aucun obstacle n’empêche les tours de s’élancer. Elles se reproduisent presque à l’identique, comme des métastases.
Les réseaux de transport traversent les eaux, transpercent les roches, gravissent les coteaux, faisant fi de la puissance des éléments. Le fleuve est devenu l’artère qui fait battre un cœur économique résolument tourné vers la conquête économique de l’Ouest par la nouvelle route de la soie. Seules les rives, quasi sauvages, résistent et s’allient aux caprices du Fleuve. Des hommes assis sur ses berges regardent ses méandres et leurs horizons s’obstruer et ses flancs s’épaissir. Ils cultivent encore, ici et là, quelques jardins nourriciers en attendant avec fatalité que les derniers bouts de terres nues disparaissent.
Cyrus Cornut
« We Love Where We Live »
Dans cette série « We Love Where We Live » (Nous aimons où nous vivons), je capture les regards mûrs des enfants et des jeunes adultes. Leur identité est étroitement liée à la région où ils grandissent : le comté de McDowell en Virginie- Occidentale, en partie situé dans les montagnes boisées des Appalaches, autrefois l’une des régions les plus riches des États-Unis en raison de l’exploitation du charbon. La situation économique de ses habitants était convenable jusqu’à ce que l’une après l’autre, les mines ferment et les emplois disparaissent. Beaucoup ont donc perdu leur emploi et sont partis, laissant derrière eux des villes fantômes.
Je me suis demandé quelles perspectives d’avenir sont encore offertes à ces jeunes qui vivent souvent avec leurs grands-parents ou d’autres membres de leur famille, plutôt qu’avec leurs parents biologiques. Quelque part sur la route se trouve un panneau portant l’inscription : « We Love Where We Live ». Je reste fascinée par cette contradiction apparente : les problèmes évidents de la région et l’intense solidarité des gens. Dans cette œuvre, je tente d’illustrer leur vulnérabilité et leur détermination et, d’une manière cinématographique, je saisis la beauté cachée dans la pauvreté et l’insécurité. « We Love Where We Live » traite de la construction de soi-même et de son identité propre. Je pose alors dans ces images un filtre doux, presque réconfortant, sur les aspérités tranchantes d’un sujet difficile.
Louise Honée
« Thank you mum »
« Thank you mum » est d’abord un travail de résistance qui se déploie au travers d’images, de vidéos et d’installations. Je photographie ma mère depuis qu’elle est atteinte d’une maladie incurable (un an et demi). Que faire lorsque l’on se retrouve face à un destin que l’on sait déjà sombre ? Lorsque le compte à rebours a commencé, que me reste-t-il avec celle qui compte le plus pour moi ?
Isolée avec ma mère dans la campagne française, j’ai d’abord tenté d’exprimer une relation mère-fille, une expression qui s’est transformée au fil des jours en un hommage pudique et poétique à ma propre mère. Ce travail difficile, mais salvateur, évolue et s’emplit chaque jour d’expériences du quotidien.
On ne peut nier une atmosphère étrange, presque ésotérique et de l’ordre du rituel, comme si je cherchais par tous les moyens à conjurer le mauvais sort, à utiliser tous les moyens de sauvegarde et d’enregistrement pour suspendre le temps et garder ma mère auprès de moi. Alejandro Castellote emploie une phrase très juste lorsqu’on regarde l’ensemble de la série : « she asks for a miracle ».
C’est la chose la plus significative que j’ai pu réaliser en tant que photographe ; je sais déjà que les morceaux d’intimité que vous voyez ici formeront au fil des années l’édifice de ma vie.
Charlotte Mano