Les lauréats du Prix HSBC pour la Photographie Aassmaa Akhannouch et Cyrus Cornut présentent leurs oeuvres à la Galerie Esther Woerdehoff du 27 mai au 26 juin 2021.
« La maison qui m’habite encore… »
Mes parents sont maintenant tous les deux décédés.
Enfant, j’habitais une maison rouge. La « maison rouge » était mon adresse, c’était la maison adorée de ma mère. Fermée pendant 30 ans j’ai dû y aller avec ma sœur pour la vider en raison de sa vente imminente. La maison contient encore quelques meubles, trois pruniers, quatre orangers et toute mon enfance.
Je me promène dans le jardin, il n’est pas aussi grand que dans mes souvenirs… C’est la veille
de la fête, ça sera probablement poulet aux olives demain… Ma mère prépare des cornes de gazelles, dans la cour devant la cuisine… C’est l’été et l’immense fenêtre du séjour est grande ouverte. 5 Je m’approche, mon père et ma sœur sont tous les deux derrière un livre.
Il y a des livres partout, mais le soir, on ne me lisait pas des histoires pour enfants, on me les racontait, c’est qu’il y a très longtemps les choses les plus extraordinaires pouvaient encore arriver… C’est la fête demain. J’aurai un ruban dans ma natte, je ne jouerai pas trop le matin pour ne pas abîmer mes chaussures, mais l’après-midi, j’aurai oublié qu’ils étaient neufs… Je regarderai ma mère se coiffer devant son miroir, peut-être qu’elle portera son caftan bleu pâle… Je ne veux pas que cette maison soit vendue, je veux la garder en cette veille de fête, en cet été éternel, engloutie, endormie, car elle n’a jamais cessé d’être mon adresse.
Les images de la série sont des prises de vue dans ma maison d’enfance, mais aussi des mises en scènes qui évoquent mon enfance dans cette maison… Les tirages sont des cyanotypes virés et rehaussés à l’aquarelle, tous réalisés par moi-même.
Aassmaa Akhannouch
« Chongqing, sur les quatre rives du temps qui passe »
Municipalité de Chongqing, République Populaire de Chine, 34 millions d’habitants.
L’une des plus fortes croissances démographiques et économiques mondiales.
L’agglomération centrale de 15 millions d’âmes se voit perfuser de près de 300 000 nouveaux arrivants chaque année.
Chongqing, la « ville Montagne », sillonnée par le fleuve Yangtsé et la rivière Jialing, peine à percer l’épais brouillard qui la recouvre toute l’année.
Héritière des déplacés du barrage des Trois-Gorges et fille des autorités pékinoises qui l’ont élevée au rang de municipalité au même titre que ses grandes sœurs de la côte Est, Chongqing s’est développée à une vitesse vertigineuse. Formes urbaines et infrastructures ont jailli défiant la gravité, épousant les reliefs de ses quatre rives escarpées et gravées par ses cours d’eau. La vitesse de l’urbanisation a pris de haut le temps lent des pêcheurs, de l’érosion des fleuves, de l’éclosion puissante des montagnes.
La danse ininterrompue des grues et des pelleteuses empile les hommes avec une rapidité déconcertante. Plus aucun obstacle n’empêche les tours de s’élancer. Elles se reproduisent presque à l’identique, comme des métastases.
Les réseaux de transport traversent les eaux, transpercent les roches, gravissent les coteaux, faisant fi de la puissance des éléments. Le fleuve est devenu l’artère qui fait battre un cœur économique résolument tourné vers la conquête économique de l’Ouest par la nouvelle route de la soie. Seules les rives, quasi sauvages, résistent et s’allient aux caprices du Fleuve. Des hommes assis sur ses berges regardent ses méandres et leurs horizons s’obstruer et ses flancs s’épaissir. Ils cultivent encore, ici et là, quelques jardins nourriciers en attendant avec fatalité que les derniers bouts de terres nues disparaissent.
Cyrus Cornut