La MEP présente Moriyama – Tōmatsu : Tokyo, l’exposition historique des deux maîtres de la photographie japonaise.
Pour Shōmei Tōmatsu, pourtant adulé, collectionné et présenté dans le monde entier, Moriyama – Tōmatsu : Tokyo représente la première exposition d’envergure à Paris. Quant à Daidō Moriyama, il s’agit de la présentation la plus complète de son œuvre jamais organisée en France.
Imaginée par Moriyama et Tōmatsu eux-mêmes, l’exposition n’avait jamais pu voir le jour suite au décès, en 2012, de Shōmei Tōmatsu. La MEP choisit de réaliser aujourd’hui ce rêve qu’avaient partagé les deux photographes amis. À travers un large panorama de leurs travaux, l’exposition Moriyama – Tōmatsu : Tokyo met en regard leur fascination pour la capitale nippone qu’ils ont arpentée durant des décennies.Conçue en étroite collaboration avec Daidō Moriyama et la veuve de Shōmei Tōmatsu, Yasuko Tōmatsu, l’exposition reprend la sélection initiale des deux artistes, enrichie et adaptée pour l’occasion, et propose un voyage complet et cohérent dans leurs œuvres.
Chaque photographe occupera un des deux étages des galeries de la MEP. Avec un accrochage pour l’essentiel chronologique, la première partie, consacrée à Tōmatsu, contrastera avec une scénographie plus foisonnante et dense de la section réservée à Moriyama.
Tokyo par Shōmei Tōmatsu
À partir des images présélectionnées en vue du projet initial, 140 œuvres de Tōmatsu ont été retenues pour l’exposition à la MEP. Le parcours débutera avec les premières photographies de l’artiste réalisées dès son arrivée
à Tokyo en 1954. Tōmatsu s’intéresse alors au prolétariat dans un pays profondément meurtri par les destructions de la Seconde Guerre mondiale : les petits métiers, les chômeurs, les enfants des rues. Dès 1958, fasciné par l’américanisation de son pays et son impact sur le mode de vie et la culture japonaise, il commence à photographier les soldats américains qui occupent les bases militaires au Japon. C’est le début de son projet « Chewing gum & Chocolate ».
Tōmatsu s’intéresse aussi aux nouveaux modes de vie qui émergent progressivement dans ces années d’après-guerre. Dans la série « Chindon », il fixe son regard sur les Chindownyassans, des acteurs et musiciens pauvres, qui, vêtus de leurs costumes traditionnels de la période Edo, deviennent des modèles de publicité de rue pour les grands magasins.
Avec la série de jeunesse « Asphalt », Tōmatsu expérimente la forme et ouvre la voie à des mondes que personne n’avait imaginés : il consacre toute une série à l’asphalte des rues, qu’il appréhende comme la « peau » de la ville, sur laquelle les fragments d’objets métalliques incrustés dans le bitume, ressemblent à de la poussière d’étoiles.
L’exposition présentera également une large sélection de photographies d’un de ses livres majeurs Oh Shinjuku ! publié en 1969, dans lequel Tōmatsu inclut notamment ses séries « Eros » et « Protest ». Il y raconte la chronique de ce quartier de Tokyo, qui garde une place essentielle dans la mythologie de la contre-culture japonaise. Quartier de grands magasins où des foules immenses se côtoient le week-end, et dont la vie nocturne, peuplée de jeunes marginaux, laisse place à des clubs de strip-tease et des bars à filles, que Tōmatsu nous montre sans tabou.
L’artiste utilise la photographie couleur dès les années 1960. Cette pratique que l’on retrouvera tout au long de l’exposition, prendra une place plus importante au fil des années. Quelques extraits de la série « Cherry Blossoms », au début des années 1980, magnifient les cerisiers en fleurs du Japon, avant que le parcours ne se clôt par les quatre portraits étonnants des photographes phares du Japon de la fin des années 1970 : Nobuyoshi Araki, Masahisa Fukase, Daidō Moriyama – déguisé en mariée japonaise – et un magnifique auto-portrait de Shōmei Tōmatsu costumé.
Tokyo par Daidō Moriyama
Conçue par l’artiste lui même, en collaboration étroite avec le galeriste
Akio Nagasawa, la sélection d’œuvres et la scénographie de cette seconde partie, mettent en valeur les séries emblématiques et la grande diversité des pratiques de Daidō Moriyama : tirages argentiques, photographies couleurs, sérigraphies sur toile, Polaroid, Drop Paper, caissons lumineux, livres et revues, notamment la revue Record que Moriyama publie périodiquement depuis 2006.
Le parcours commence par des images de son premier livre, Japan: a Photo Theater (1968), où l’artiste mêle photos de rue et portraits de comédiens itinérants. Le livre fera scandale, son esthétique est très proche de la revue Provoke que Moriyama rejoint en 1969.
La même année, il réalise la série « Accident » (1969), dans laquelle il se réapproprie des photographies d’accidents de la route nocturnes et violents, trouvées dans des revues ou capturées sur l’écran de télévision. Moriyama les détourne à la manière des sérigraphies de la série « Death and Disaster » d’Andy Warhol, qu’il découvre dès 1968. L’exposition présentera d’ailleurs
un peu plus loin dans le parcours, des sérigraphies sur toile grands formats, inspirées de la pratique d’Andy Warhol et que Moriyama considère comme une extension naturelle de son propre langage photographique.
Une large sélection de photographies issues de Farewell Photography (1972) – l’un des livres les plus avant-garde de l’époque – présentera un nouveau langage photographique chez Moriyama, celui du flou, du bougé, du grain et des taches, avec des images à la limite de la lisibilité.
Après une longue pause dans sa pratique photographique, Moriyama publie en 1982 le livre Light and Shadow où il impose une nouvelle approche : des images cette fois très contrastées, aux noirs omniprésents et aux cadrages serrés, qui feront sa réputation dans les années qui suivront.
L’exposition propose ensuite une visite immergée dans le quartier de Shinjuku – chaos urbain qui ne cesse de subjuguer Moriyama et qu’il photographie
à l’instinct. Suit une installation autour de la série « Tights » (collants) dans laquelle l’artiste transforme les bas résilles en un motif obsessionnel décliné sur différents supports.
Puis la série « Platform » (1977) réalisée sur une journée le long du trajet Zushi-Yokohama-Tokyo, présentera les photographies de rangées d’anonymes qui s’amassent sur les quais d’une gare pour aller au travail, photos de foule dans lesquelles le regard s’attache sur chaque individu.
Enfin, redécouverte dans ses archives récemment, la série « Pantomine » (1963), rassemblera des photographies de fœtus stockés dans du formol, premier projet personnel que Moriyama réalise à 25 ans dans une maternité de Tokyo.
La fin du parcours mettra en lumière la couleur chez Moriyama qui a également beaucoup photographié la ville de Tokyo au Polaroid, parcourant les rues, multipliant les vues, humant les odeurs de la ville, scrutant les ruelles, panneaux publicitaires, affiches, étalages commerciaux et piétons. La dernière salle présentera la série « Pretty Woman » une sélection de photos couleur prises en 2017 dans les rues de Tokyo, où il capture des silhouettes de femmes dans le chaos des rues et des vitrines de magasins.
L’exposition s’achèvera par une large sélection du magazine Record, publié par Akio Nagasawa, entièrement conçu et réalisé par Moriyama à partir de ses propres photographies, et dont le numéro 44 vient de paraître.
Catalogue
Edité par Akio Nagasawa et préfacé par Simon Baker, un catalogue bilingue français-anglais, sous forme d’un coffret de trois volumes, accompagne l’exposition.
Un livre événement qui donne l’occasion de découvrir des traductions inédites de textes de Moriyama et Tomatsu.