Sous le titre Les Flocons de l’été (sur tout ton corps sont tatouées des perles d’or) [1], cette exposition propose un voyage sans début ni fin, accompagné d’une bande son dédiée, et qui s’étirerait d’un jour d’été infini à une nuit d’hiver suspendue : « C’est l’hiver, en été / La nuit blanche pourrait durer / Toute l’éternité / Loin, si loin, soi-même exilé / Sous les flocons de l’été / La nuit pourrait durer / Toute l’éternité »[2].
Elle y embarque douze artistes émergents vivant entre Marseille, Paris et leurs banlieues – Jean Bosphore, Nicolas Boulben, Jean Claracq, Antoine Conde, Adrien Fricheteau, Lazare Lazarus, Lou Olmos–Arsenne, Jules Magistry, Julien Robles, Camille Roquet, Paul Rousteau et Victor Siret – qui explorent chacun à sa façon le vécu ordinaire des éternels adolescents des années 2000-2020. Une jeunesse désemparée qui, au cœur de banlieues urbaines normalisées et interchangeables occupe son temps de façon fragmentaire, rivée sur des écrans en cristaux liquides, entre applications de smartphones, jeux vidéo et programmes Netflix, ou dans des rues et des parcs quasi abandonnés ou délaissés. Le cinéma d’un David Lynch, d’un Gus Van Sant, d’un Gregg Araki et d’un Harmony Korine ou les photographies d’un Larry Clark, d’un Ed Templeton et d’un Ari Marcopoulos y reviennent régulièrement comme références, voire l’œuvre d’un David Hockney.
Pour autant, ces douze artistes pratiquent très paradoxalement des techniques artistiques propres au temps long : la tapisserie, le dessin au crayon de couleur, au bic ou à l’encre, la gravure ou le monotype, ou encore une peinture particulièrement minutieuse. Simples, touchantes et faussement innocentes, leurs œuvres révèlent dès lors des univers complexes et parfois inquiets entre nostalgie pour les années 1980-2000 – cette fin du siècle dernier où ils ont vu le jour, solitude et mélancolie du temps présent et projection dans des avenirs inespérés qu’ils romantisent ou fictionnalisent.
Au-delà donc des tourments, des interrogations et des espoirs qu’elle(s) génère(ent), ils construisent leur(s)identité(s) sur le courage et l’intensité que peuvent apporter le reconnaissance sinon l’affirmation de soi, lalutte collective et l’apprentissage progressif de la confiance en les autres comme en soi-même etdéveloppent des regards sur la masculinité d’un genre nouveau. D’une beauté sauvage et farouche, leurs œuvres en témoignent avec une force, une détermination et enjouissance inégalée. René Char ne professait-il pas : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. » [3]
Marc Donnadieu, commissaire de l’exposition
[1] « Les Flocons de l’été » est le titre d’une chanson écrite et composée par Fabien Waltmann et Étienne Daho en 2017, et interprétée par Étienne Daho sur l’album « Blitz » ; « Sur tout ton corps sont tatouées des perles d’or » est un extrait de la chanson « Beaulieue » écrite et composée par Cédric Janin et Eddy de Pretto en 2018, et interprétée par Eddy de Pretto sur l’album « Cure ».
[2] Extrait de la chanson « Les Flocons de l’été »
[3] René Char, « Rougeur des matinaux » in « Les Matinaux », Paris, Éditions Gallimard, 1950.