Le photographe italien Gabriele Basilico (1944-2013) est considéré comme l’un des plus importants photographes documentaristes. Durant près de quarante ans, il a posé son regard sur les villes du monde entier et a développé une réflexion sur la photographie de paysage. L’exposition « Retours à Beyrouth », qui présente pour la première fois les quatre missions photographiques effectuées en 1991, en 2003, en 2008 et 2011, documente la reconstruction progressive de la ville et témoigne de la grande affection du photographe envers la capitale libanaise.
En 1991, à l’initiative de l’écrivaine libanaise Dominique Eddé, la Fondation Hariri finança une campagne documentaire sur le centre-ville de Beyrouth, alors quasiment détruit après quinze années de guerre civile. Y participèrent, en toute liberté, Gabriele Basilico, René Burri, Raymond Depardon, Fouad Elkoury, Robert Frank et Josef Koudelka. S’en suivirent un livre et une exposition qui ont fait date.
Gabriele Basilico aimait les projets clairs, structurés, clos, et ne revenait guère sur ses pas. Beyrouth a été pour lui une exception notable puisqu’il s’y est rendu à quatre reprises, qu’il y a photographié en noir et blanc et en couleurs, et qu’il y a même exposé une partie de son enquête photographique. Il avait le projet de publier un ouvrage regroupant l’ensemble de ses quatre voyages mais il n’en eut pas le temps. C’est donc la première fois que ce travail est montré dans son extension et que, à cette occasion, les éditions Contrasto publient l’ouvrage de référence. On retrouve dans cette enquête visuelle qui s’est développée sur vingt ans l’approche caractéristique et rigoureuse de l’ancien étudiant en architecture. Une réflexion permanente sur le sens de la frontalité et des angles de prise de vue, une volonté de décrypter l’espace urbain et de le rendre lisible. Gabriele Basilico n’était pas un photographe de guerre et il ne sut, d’abord, comment aborder la destruction du centre de la capitale libanaise. Après le constat et la confrontation directe à la ruine, il décida de suivre le processus de reconstruction. Une forme d’optimisme.
Christian Caujolle, conseiller artistique
L’ensemble de ces voyages présenté pour la première fois est accompagné d’un livre publié aux éditions Contrasto.
LIVRES : Gabriele Basilico “Ritorni a Beirut/Back to Beirut 1991 – 2003 – 2008 – 2011 Éditions Contrasto
« À la photographie, parallèlement au témoignage de la folie des hommes, était confié un devoir citoyen, celui de contribuer à la construction de la mémoire d’une page d’histoire ». G.Basilico
Photographier Beyrouth
En 1991, je suis arrivé à Beyrouth pour photographier la partie centrale de la ville affectée par la longue guerre civile qui avait commencé quinze ans plus tôt (1975).
Il ne s’agissait pas de faire un reportage sur les ruines, mais de composer un « état des choses » confié à une interprétation libre et personnelle.
Je photographie les villes depuis de nombreuses années, je me suis familiarisé avec la ritualité des gestes d’exploration du tissu urbain. Mais une ville blessée outragée, nécessite une sensibilité particulière, exige une attention spéciale, une participation mais aussi du respect.
Il y a d’abord l’émotion et la douleur de la tragédie, puis la peur et l’hésitation qui précèdent le début de la pratique rituelle de la photographie qui exige considération et responsabilité.
Puis quelque chose se passe. Peut-être que la ville écoute, sent l’hésitation, envoie un message
et libère calmement l’angoisse, aide à détendre le regard pétrifié. Un silence métaphysique s’installe, une pause après laquelle on peut agir, observer, prendre des mesures nécessaires.
Par la suite, je suis retourné à Beyrouth trois autres fois pour suivre la reconstruction du centre-ville, qui semble aujourd’hui ressuscité par magie dans la nouvelle ligne d’horizon urbaine.
Lorsque j’en ai la possibilité, je retourne plusieurs fois sur les lieux que j’ai photographiés. Pour moi, c’est le moyen le plus intéressant et le plus utile d’avoir une relation concrète, d’être plus impliqué dans la réalité. La pratique du retour crée une disposition sentimentale singulière : comme l’attente d’un rendez-vous souhaité, un réveil de la mémoire pour des lieux, des objets, des personnes, comme si on ranimait le moteur d’une voiture immobilisée depuis longtemps.
Pour Beyrouth, c’était encore plus. Plusieurs années s’étaient écoulées et pourtant, à chaque fois, c’était comme si je revenais après un temps immémorial, un temps hors du temps qui contient un peu de l’histoire du monde, la mémoire d’un monde coulé dans la réalité physique d’un lieu.
Le paysage urbain actuel perturbe radicalement l’iconographie compacte et cohérente du vieux Beyrouth. Aujourd’hui, bien que le tissu de la zone centrale respecte parfaitement la topographie ancienne et que les bâtiments historiques du passé sont presque tous fidèlement reconstruits
avec des modifications pratiquement invisibles par rapport aux originaux, de grandes zones vides persistent entre cette nouvelle « citadelle » et la mer.
Dans cette vaste zone, cependant, un nouveau Beyrouth s’élève à un rythme tourbillonnant, qui sera inévitablement différent, dont la force explosive est clairement identifié parmi les nombreux bâtiments flambants neufs inspirés par un style néo-rationaliste, rayonnant autour des deux grands nouveaux monuments urbains : la mosquée Mohammad Al-Amin sur la place des Martyrs et le Souk central de Rafael Moneo.
Commentaires de Gabriele Basilico lors de sa mission à Beyrouth en mars 2012
Texte extrait du livre « Gabriele Basilico Ritorni a Beirut »
Gabriele Basilico
Gabriele Basilico est un photographe italien, né le 12 août 1944 et décédé le 13 février 2013 à Milan. Après avoir obtenu un diplôme d’architecture au Politecnico di Milan en 1973, il se consacre essentiel- lement à la photographie.
Sa première recherche importante, « Milan, portraits d’usines », présentée en 1983 au Pavillon d’art contemporain de Milan, a été réalisée entre 1978 et 1980.
En 1984 il est invité à participer à la Mission photographique de la DATAR, commande publique du gouvernement français visant à documenter les transformations du paysage contemporain.
En 1991, il participe à un grand projet libanais sur la ville de Beyrouth, dévastée par une guerre civile de quinze ans.
En 1994, un premier bilan de son travail fait l’objet d’une rétrospective à la La Fondazione Galleria Gottardo de Lugano et de la parution éditée par Roberta Valtorta, « L’esperienza dei luoghi. Fotografie 1978-1993 ».
En 1996, il est invité à la Biennale de Venise en 1996 avec l’exposition « Sezioni del paesaggio italiano ». En 1999, il publie « Ville interrompue » consacré à Milan et Cityscapes, qui présente plus de 300 images de villes à partir du milieu des années 1980.
En 2000, il réalise un travail sur l’aire métropolitaine de Berlin, à l’invitation du Deutscher Akademischer Austausch Dienst et expose « Milan, Berlin, Valence » à l’Instituto Valenciano de Arte Moderno.
Dans le cadre de PhotoEspaña, son livre Berlin reçoit le prix du meilleur livre de photographie de l’année.
En 2003, il participe à la 5e édition de la conférence Architecture et de Design à São Paulo avec une exposition en collaboration avec Álvaro Siza, présentée ensuite au Triennale de Milan et au Palazzo delle Arti de Naples.
En 2005, il publie « Scattered City », images inédites des villes d’Europe.
En 2006, il expose à la Fundação Calouste Gulbenkian à Lisbonne et reçoit une importante commande du nouveau Musée national de Monte-Carlo.
En 2006, il publie « Photo Books 1978-2005 » qui rassemble et illustre l’ensemble de ses livres personnels et bon nombre des livres collectifs les plus importants.
La même année, il publie la monographie « Notes of a voyage / Carnet de travail 1969-2006 », à l’occasion de d’une grande rétrospective à la Maison Européenne de la Photographie à Paris.
En 2007, il est invité à la Biennale de Venise où il présente une sélection d’images en couleur de la série « Beyrouth 1991 ». Toujours en 2007, il est mandaté par la Musée d’art moderne de San Francisco, où il expose en 2008 une grande campagne photographique sur la Silicon Valley. Ces travaux débouchent sur le volume « Gabriele Basilico, Silicon Valley 2007 ». Il reçoit également le prix international de la photographie d’architecture de la Fundación Astroc à Madrid pour la photographie d’architecture.
En 2008, il effectue une recherche sur la ville de Rome.
Ses recherches s’étendent toujours aux grandes métropoles du monde : en 2010-2011, il travaille à Istanbul, Shanghai, Rio de Janeiro.
En 2012, il participe à la 13e exposition internationale de la Biennale de Venise avec « Pavillons communs », un projet conçu par Adele Rebaudengo et réalisé en collaboration avec Diener & Diener Architekten de Bâle. Le volume « Common Pavillons » est publié en 2013.
Autres expositions personnelles (sélection)
Archivio Gabriele Basilico
2023 : « Retours à Beyrouth », Galerie le Château d’Eau
2015 : « Beyrouth 1991 » à l’abbaye de Jumièges
2012 : « Gabriele Basilico » au Pavillon Blanc de Colomiers
2008 : « Gabriele Basilico » au San Francisco Museum of Modern Art
2008 : Rétrospective à la Fondation Merz de Turin
2005 : Rétrospective à l’atelier del Bosco de la villa Médicis de Rome
2004 : « Arti e Architettura 1900-2000 » au Palais ducal de Gênes
2004 : « Racconti di Paesaggio 1984-2004 » au Musée de la photographie contemporaine de Milan 2002 : « Provincia antiqua » aux Rencontres de la photographie, Arles
1996 : « L’esperienza dei luoghi » au Centre culturel de Belém de Lisbonne
1987 : « Paysage et architecture » aux Rencontres d’Arles.
1978 : « Ritratti di fabbriche » au Pavillon des arts contemporains de Milan