Fannie Escoulen, Conseillère artistique, a proposé 12 photographes aux membres du Comité exécutif et commente ses choix :
« Les douze finalistes de cette édition 2020 ont l’ambition de s’être attelés à de grands projets, qu’ils soient intimes et personnels, politiques, écologiques ou historiques. Tous sont traversés par des prises de conscience, habités par des grands sujets de société, concernés par des événements de leur quotidien. C’est dans cet engagement que les dossiers se révèlent, et que les écritures photographiques, aussi diverses soient-elles, s’affirment. Douze talents donc, portant un regard sur le monde (leur propre monde aussi), tel qu’il est, tel qu’il va – ou ne va pas. Et l’espoir au fond d’eux de voir leur travail sortir de l’ombre. »
Louise Honée « We Love Where We Live » :
Dans cette série « We Love Where We Live » (Nous aimons où nous vivons), je capture les regards mûrs des enfants
et des jeunes adultes. Leur identité est étroitement liée à la région où ils grandissent : le comté de McDowell en Virginie- Occidentale, en partie situé dans les montagnes boisées des Appalaches, autrefois l’une des régions les plus riches des États-Unis en raison de l’exploitation du charbon. La situation économique de ses habitants était convenable jusqu’à ce que l’une après l’autre, les mines ferment et les emplois disparaissent. Beaucoup ont donc perdu leur emploi et sont partis, laissant derrière eux des villes fantômes.
Je me suis demandé quelles perspectives d’avenir sont encore offertes à ces jeunes qui vivent souvent avec leurs grands-parents ou d’autres membres de leur famille, plutôt qu’avec leurs parents biologiques. Quelque part sur la route se trouve un panneau portant l’inscription : « We Love Where We Live ». Je reste fascinée par cette contradiction apparente : les problèmes évidents de la région et l’intense solidarité des gens. Dans cette œuvre, je tente d’illustrer leur vulnérabilité et leur détermination et, d’une manière cinématographique, je saisis la beauté cachée dans la pauvreté et l’insécurité. « We Love Where We Live » traite de la construction de soi-même et de son identité propre. Je pose alors dans ces images un filtre doux, presque réconfortant, sur les aspérités tranchantes d’un sujet difficile.
Louise Honée saisit avec douceur ce coin abandonné de Virginie-Occidentale, les enfants
d’une génération perdue, laissés à ne rien faire en attendant qu’un événement advienne. Ses images en noir et blanc, d’une grande pureté formelle, en disent aussi long sur l’espoir de vies à reconstruire et ces attentes infinies qui se transformeront peut-être demain en promesses.
Fannie Escoulen, Conseillère artistique 2020
Charlotte Mano « Thank you mum » :
« Thank you mum » est d’abord un travail de résistance qui se déploie au travers d’images, de vidéos et d’installations. Je photographie ma mère depuis qu’elle est atteinte d’une maladie incurable (un an et demi). Que faire lorsque l’on se retrouve face à un destin que l’on sait déjà sombre ? Lorsque le compte à rebours a commencé, que me reste-t-il avec celle qui compte le plus pour moi ?
Isolée avec ma mère dans la campagne française, j’ai d’abord tenté d’exprimer une relation mère-fille, une expression qui s’est transformée au fil des jours en un hommage pudique et poétique à ma propre mère. Ce travail difficile, mais salvateur, évolue et s’emplit chaque jour d’expériences du quotidien.
On ne peut nier une atmosphère étrange, presque ésotérique et de l’ordre du rituel, comme si je cherchais par tous les moyens à conjurer le mauvais sort, à utiliser tous les moyens de sauvegarde et d’enregistrement pour suspendre le temps et garder ma mère auprès de moi. Alejandro Castellote emploie une phrase très juste lorsqu’on regarde l’ensemble de la série : « she asks for a miracle ».
C’est la chose la plus significative que j’ai pu réaliser en tant que photographe ; je sais déjà que les morceaux d’intimité que vous voyez ici formeront au fil des années l’édifice de ma vie.
Dans ce projet d’une grande sensibilité, Charlotte Mano utilise l’image comme une thérapie et nous livre, par l’emploi de la mise en scène, de la narration, de l’imaginaire, un témoignage bouleversant sur la disparition annoncée de sa mère. Au-delà d’un simple hommage, elle s’adresse à nous, spectateurs, et nous met face à nos propres vies, nos conditions humaines, évoquant un sujet douloureux, universel, sans jamais tomber dans le pathos.
Fannie Escoulen , Conseillère artistique 2020