Né en 1939 à Los Angeles, en pleine terre du cinéma américain, Ralph Gibson est sans nul doute une des figures les plus emblématiques de la photographie américaine, celle qui fut la plus prolifique, la plus généreuse dans son apport au medium, et qui fut active entre 196O et 1985. Génération que j’ai surnommée, dans un ouvrage que je lui ai consacré, « les derniers héros de la photographie ».
Gibson, après un séjour de quelques mois dans la Marine américaine, ou il se forme au métier de la reproduction photographique, décide d’être lui-même artiste photographe. Devenu assistant de la grande Dorothea Lange, puis de Robert Frank, il se rend compte, à la fin des années 1960, de son peu d’intérêt pour la photographie documentaire ou commerciale. En 1966, il monte à New York, s’installe au fameux Chelsea Hotel, et vit de façon précaire, se consacrant entièrement à la prise de vue destinée à réaliser un livre photographique nouveau, dont le langage serait neuf, entièrement consacré à la présentation de son univers d’artiste, désormais désireux de rendre compte des forces oniriques et surréalistes vers lesquelles Ralph Gibson se sent désormais porté. Influencé par le cinéma de la Nouvelle Vague française (Jean-Luc Godard ou Alain Resnais) et le Nouveau Roman, celui de Michel Butor ou d’Alain Robe-Grillet, Gibson, devant la timidité et l’accueil négatif donnés à son projet de livre d’artiste par les traditionnelles maisons d’édition, fonde son propre label, Lustrum Press. En trois volumes, The Somnambulist (1970), Déjà-Vu (1973) et Days at Sea (1974), il publie un ensemble de ses photographies désormais connu sous le nom de The Trilogy (La Trilogie). Mise en page radicalement nouvelle, exploration de thématiques individuelles rarement montrées, recherche d’un langage photographique autonome, se passant de texte pour se suffire à lui-même, impression très contrastée d’un noir et blanc somptueux : la Trilogie vient bouleverser la conception même du livre photographique traditionnel, et inaugure l’ère de ce qu’on appelle désormais la « Fine Art Photography ». L’accueil fait par la critique aux 3 volumes propulse Ralph Gibson au sommet de la célébrité dans un milieu photographique beaucoup plus porté, à cette époque, et à quelques rares exceptions près, vers une photographique documentaire. Larry Clark, Mary Ellen Mark, David Seymour seront autant de photographes qui emprunteront l’exemple de Gibson, et seront d’ailleurs tous publiés chez Lustrum Press. En Europe, et d’abord en France, Yves Guillot, Arnaud Claass, Bernard Plossu seront également à l’écoute des leçons de Gibson.
Cette exposition présente pour la première fois l’ensemble des tirages de la Trilogie (près de 150 images), ce qui n’avait jamais été fait auparavant pour ce qui représente une étape nouvelle de la photographie américaine, et de l’édition photographique. Beaucoup de ces images sont devenues des icones incontournables de la photographie contemporaine. Les éditions Hazan publient à cette occasion la réédition des trois volumes de la Trilogie, réunis en un seul, dans le respect absolu de la maquette d’origine.
Commissaire de l’exposition
Directeur artistique du Pavillon populaire.