Le trouble, cette impossibilité de fixer les êtres et leur identité, mais qui s’étend ici également à la matière même, est sans aucun doute une des bases du travail de Stephan Balleux. Trouble qui s’arti-cule, s’exprime principalement à travers l’idée de flou, en tant que traitement mais aussi en termes de réception : « Aucune image n‘échappe au flou, aucun son, à la dispersion. Le réel lui-même est tissu de vague. Car le flou ne cesse de questionner notre perception et notre représentation du monde et de les relancer, comme s’il recelait ou énonçait une promesse—de netteté, de connaissance, de beauté, d’un au-delà du trouble? Le flou est un passage obligé dans notre rapport au monde et aux œuvres ». Trouble identitaire, de la matière au travers de ces déterritorialisations et de ses travestisse-ments, mais aussi de l’artiste qui se remet en question.
En effet, au-delà de la nature diversifiée et troublante des oeuvres proposées, le travail de Stephan Balleux frappe très vite par sa cohérence ainsi que par la pertinence de ses questionnements. Il s’agit pour lui de s’interroger, à l’ère digitale et virtuelle, sur l’identité et la place de la peinture. Les diffé-rents trajets entrepris dans son oeuvre depuis quelques années sont autant de balises dans cette recherche perpétuelle de l’essence même de son médium. Ainsi, que ce soit dans ses œuvres pic-turales, ses dessins, vidéos, sculptures ou au fil des différentes expositions auxquelles il a participé ces dernières années, Balleux ne semble jamais en avoir fini avec la peinture, l’explorant sous tous les angles, mêmes les plus inattendus ou sous les formes les plus hétéroclites.
Il semble dès le départ très clair que l’ensemble s’articule selon le principe freudien de l’inquiétante étrangeté, principe qui se retrouve perpétuellement retravaillé au fil des périodes et du choix des médiums.
Il s’agit autant du sujet représenté, de la matière mise en scène que du médium de communication qui sont mis en jeu dans ce processus ; entre inconnu et déjà vu, étrange et familier, on reconnaît l’image (appartenant souvent à un imaginaire collectif ancré dans l’Histoire de l’art pictural, photographique ou même cinématographique), mais on se retrouve confrontés à un traitement pictural qui envahit des médiums variés. Les objets sont tout à la fois reconnaissables et entièrement travestis par leur retravail esthétique, ce qui engendre le fameux trouble, aussi bien au niveau de l’œuvre elle-même que de sa réception.(…).
Car c’est bien de cela qu’il s’agit chez Balleux ; non pas d’une matière appartenant à un passé artistique et à ses cadres fixes, mais bien un ordre vivant, organique, qui se métamorphose sans cesse et sans jamais rien perdre de sa pertinence. Balleux appartient à cette génération d’artistes qui questionnent sans relâche le médium qui les définit dans une réflexion postmoderne, entre citation et métadiscours, renvoyant finalement vers eux-mêmes le miroir de la réflexion ; quelle est la place de la peinture, mais peut-être encore plus, qu’en est-il du peintre, dans un environnement artistique depuis longtemps assailli par les évolutions technologiques, délaissant les pratiques, le face à face avec la matière, pour s’engager dans les méandres des rendus informatiques et virtuels ? Les oeuvres de Stephan Balleux semblent répondre d’elles-mêmes : toute la résistante pertinence de la peinture se trouve nichée dans ce regard précis et particulier, obsessionnel, posé sur les choses, traduisant sa vision d’une réalité qui ne s’offre à nous que sous une forme picturale, comme si le monde lui-même n’était plus que peinture.
Muriel Andrin
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