Cet automne, le Pavillon Populaire consacre sa nouvelle exposition aux photographes de « L’École de New York ». Avec THE NEW YORK SCHOOL SHOW, il s’agit de présenter, pour la première fois en Europe, un projet spécifiquement consacré à ce mouvement considéré comme une véritable révolution visuelle.
S’il est une ville qui est associée consubstantiellement au développement de la photographie américaine, c’est bien New York. Entre les années 1930 et la fin des années 1960, vivent et travaillent dans la métropole américaine un groupe de photographes affiliés à ce que l’on a appelé l’École de New York, mouvement artistique pluridisciplinaire qui correspond au renouveau de la vie artistique américaine après la Seconde Guerre mondiale.
De Bruce Davidson à Louis Faurer, en passant par Robert Frank ou Saul Leiter, Don Donaghy, David Vestal et quelques autres, ces photographes impulsent une liberté de prise de vue nouvelle et une stylistique de la photographie de rue qui viendront radicalement changer l’approche documentaire des faits sociaux, tablant sur une nouvelle vision subjective du décor urbain, à mille lieues de l’École humaniste européenne.
Les années comprises entre 1935 et 1965 furent, dans la ville de New York, le théâtre d’une activité photographique bouillonnante venue poser les règles d’une nouvelle « photographie de rue », détonante, libérée des contraintes affectées traditionnellement au genre, et significativement différente de son contrepoint européen.
On peut affirmer que cette photographie forme le substrat d’une modernité photographique américaine nouvelle, différente de la première génération moderniste illustrée à partir de 1917 par Alfred Stieglitz, Paul Strand, Edward Weston ou Charles Sheeler. Loin de son inspiration mystique, souvent affiliée au pictorialisme européen (le cubisme en particulier, le symbolisme d’un Kandinsky…), ou de sa radicalité puriste (telle que l’illustre le groupe californien « F.64 »), les acteurs de la scène photographique newyorkaise sont, à partir des années 1930, et sous l’influence grandissante de Walker Evans, bien plus tentés par une approche documentaire du fait urbain, tout en garantissant une vision du monde personnelle et libérée des contraintes du grand format.
Sous la houlette de la très active et politique Photo League, dans une Amérique engluée dans la Dépression économique qui vient rebattre les cartes des enjeux artistiques, et avec les nouveaux supports d’expression offerts au photojournalisme naissant (magazines tels que LIFE ou Fortune), une première génération de photographes de rue américains s’essaie, jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à une approche très directe du fait urbain. Après 1945, New York devient presqu’exclusivement un champ d’explorations multiples pour de nouveaux acteurs tels Robert Frank, Louis Faurer ou Saul Leiter, décidés à « casser » les codes de la « bonne » photographie, ou encore à manifester un expressionnisme susceptible d’être au plus près d’un langage qu’ils veulent personnel ou engagé. Surtout, cette nouvelle génération s’ouvre aux courants artistiques de son époque, se rapproche des graphistes (Alexey Brodovitch), peintres ou écrivains (expressionnisme abstrait, poétique de Robert Lowell), ambitionne la publication dans le cadre d’expositions au sein des circuits muséaux américains pour lesquels la photographie est déjà un art à part entière, ou dans la perspective d’un livre. Et surtout, c’est le traitement photographique du sujet urbain, plutôt que le sujet en lui-même, qui différencie la photographie de rue américaine d’après-guerre de celle en usage en Europe, en particulier de la photographie dite « humaniste ». D’où cette impression de liberté, d’expérimentation visuelle, d’énergie pulsative qui, à travers la ville de New York vue par ces photographes, épargne au spectateur les effets d’une poésie parfois mièvre et surannée, et conduit à la notion si contemporaine d’art urbain, de « street art ».
Au début des années 1990, l’historienne américaine de la photographie Jane Livingston a tenté de rassembler, sous le terme de « New York School Photographs » un certain nombre des acteurs de cette révolution photographique ayant agité les rues de New York, et que des traits communs pouvaient rassembler : liberté expressive et formelle sans précédent, engagement social et parfois politique assumé, volonté de se lier aux formes picturales et poétiques nouvelles, connaissance approfondie de l’histoire de leur medium, et surtout, ambition d’un langage d’auteur, dont les fondements sont à trouver, pour cette génération, dans les œuvres inaugurales de Walker Evans ou d’Henri Cartier-Bresson.
L’exposition que consacre le Pavillon Populaire de Montpellier à l’École photographique de New York, essaie d’y voir plus loin, et d’élargir la réflexion engagée par Jane Livingston, en présentant pour la première fois en Europe une exposition consacrée à ce mouvement, en y ajoutant de nouveaux protagonistes, et en précisant davantage les enjeux de cette révolution visuelle. C’est un ensemble de 22 photographes qui sont exposés avec près de 160 tirages originaux (couleurs et noir et blanc) de leurs œuvres les plus représentatives, de Lisette Model, en passant par Diane Arbus, Robert Frank, Saul Leiter, William Klein ou Bruce Davidson, sans oublier les Ben Shahn ou autres Ted Croner. Avec, au centre de leurs images, leur fascination pour la vitalité débordante générée par « la Grosse Pomme », cette ville à la géographie mythique et qui, selon la légende, « ne dort jamais ».
Gilles MORA,
Directeur artistique du Pavillon Populaire