Peut-on encore proposer à un large public la fraîcheur et la surprise d’une découverte inattendue, celle d’une oeuvre photographique importante, jusqu’ici méconnue ? Avec William Gedney (1932-1989) s’offre de toute évidence une réponse affirmative. Grand oublié de la photographie américaine des années 1960 à 1990 – moment clé de l’éclosion artistique sans précédent de ceux que j’ai surnommé « les derniers héros de la photographie », Gedney n’a jamais eu la reconnaissance qui lui est due. Quelques très rares expositions de son vivant, et de maigres publications, attestent partiellement de son activité créative pourtant bouillonnante et prolixe.
William Gedney : un photographe solitaire, observateur de son temps.
Maître incontesté de la photographie de rue, des corps et des visages, ami de Diane Arbus et de Lee Friedlander, volontiers introverti, William Gedney s’est volontairement enfermé dans une solitude existentielle et professionnelle qu’il a largement assumée, consacrant toute son énergie aux hautes et seules exigences de sa conception souvent lyrique de la prise de vue, qu’il voulait à l’égal de la littérature. Il a négligé toute approche commerciale ou promotionnelle de son oeuvre, jugée incompatible avec les idéaux de celle-ci. Une pareille modestie, une telle discrétion, une semblable lucidité font, de nos jours, rêver… À travers une oeuvre multiforme et considérable, William Gedney laisse pourtant filtrer un secret, celui d’une homosexualité soigneusement cachée, qu’il vivra sur le mode de l’intimité la plus absolue. Il sera l’une des premières victimes du SIDA. Cette exposition, la seule à ce jour présentée en Europe, et sans doute la plus complète, s’appuie sur les archives Gedney déposées à la Duke University à Durham (Caroline du Nord). Elle souligne la sensualité, l’élégance formelle, l’empathie pour les marginaux émanant d’une oeuvre unique, dont, avec le temps, s’affirme de plus en plus l’influence souterraine.
Gilles Mora